Dans sa publication Biomimicry : Innovation inspired by nature, en 1997, Janine Benyus, scientifique américaine, nous invite à repenser nos modes de production en prenant comme modèle la nature. Elle nous rappelle que les matériaux du vivant sont produits à température ambiante et avec des solvants non toxiques. Elle encourage déjà les collaborations interdisciplinaires entre design et science, et plus précisément entre biologie et ingénierie, deux domaines complémentaires. Cinq ans plus tard, en 2002, le binôme de designer et chimiste, William McDonough et Michael Braungart publie Cradle to Cradle : remaking the way we make things, qui met en avant l’importance de planifier la fin de vie du produit dès sa conception afin d’éliminer la notion de déchet.
Inspirées de leur pensée écologique, nous allons voir aujourd’hui comment fabriquer un biocomposite à partir de coquilles d’œufs.
Avant la COVID-19 notre contribution à Sympoïétiques était de réaliser une vaisselle pour la conférence, qui réduirait l’impact écologique d’évènements, tout en valorisant les déchets.
Notre projet interdisciplinaire, Cyclical_Matters, est conçu et réalisé par trois designers aux savoir-faire complémentaires et accompagné par l’expertise du chimiste Yves Gélinas, membre du département de chimie et de biochimie à l’université Concordia.
Commençons d’ailleurs par un peu de chimie. Nous savons que les coquilles d’œufs sont faites de carbonate de calcium (95%), de protéines (3%) et d’eau. Nous allons combiner la poudre de coquilles à un mélange d’eau et d’alginate de sodium qui va englober la poudre dans sa viscosité. L’alginate de sodium est un polymère issu de l’algue brune. Il est composé d’éléments carbone, d’hydrogène de sodium et d’oxygène. Sa formule chimique est C6H7NaO6. C’est un gélifiant habituellement utilisé en cuisine qui est classé dans les additifs alimentaires E401. En présence de calcium il permet la sphérification : réaction chimique qui permet de lier les molécules afin d’agglomérer la matière. Puis nous allons mettre cette mixture dans un moule et la recouvrir de vinaigre. La rencontre du carbonate de calcium, de l’alginate de sodium et du vinaigre permet un durcissement de la matière. Au niveau moléculaire cela implique que le vinaigre, un acide, réagit avec le carbonate, pour former de l’acide carbonique (H2CO3), qui rapidement devient du gaz carbonique (CO2(g)) et de l’eau selon la réaction H2CO3 à CO2(g) + H2O. Lors du séchage, l’eau et le gaz carbonique s’échappent dans l’atmosphère et le calcium résiduel, qui n’est pas volatile, agit comme liant qui permet l’agglomération des molécules d’alginate en les liant entre elles.
Fig 1: Matière semi-liquide, recouverte de vinaigre pendant 1 heure de chaque côté.
Voici ce dont vous allez avoir besoin pour réaliser une assiette d’environ 10 cm de diamètre :
Ustensiles :
-Une balance de cuisine.
-Deux ramequins (l’un contenant la poudre de coquilles et l’autre l’alginate)
-Une cuillère pour mélanger.
-Des couvercles de yaourt de 10cm de diamètre environ ou des moules en silicone.
-Un spray (pour le vinaigre)
Sécurité : Il est important de porter un masque au moment de moudre et de manipuler la poudre de coquilles afin de filtrer les fines particules. Un masque chirurgical ,vendu pour environ 1$ pièce à la pharmacie, suffit amplement car les particules de poussière de poudre de coquilles d’œuf sont plus grosses que les gouttelettes d’eau qui propagent les virus.
Ingrédients :
- 15-45 mL de vinaigre
- 45 g de poudre de coquilles d’œufs.
- 200 mL d’eau
- 4 g d’alginate de sodium
Étapes préparatoires :
- Collecter vos coquilles d’œufs (chez vous ou dans un restaurant qui accepte de vous les garder).
- Les laver et les faire bouillir pendant 15 minutes afin d’éliminer les bactéries.
- Les faire sécher 15 minutes au four à 100˚C afin de rendre la coquille plus friable.
- Les moudre dans un robot électrique. À ce stade, le port d’un masque est fortement recommandé car la poudre dégage une fine poussière qui peut facilement pénétrer les poumons.
-Toujours en portant le masque, passer la poudre dans un tamis. Vous allez obtenir deux genres de matériaux : une fine poudre et une autre plus grossière. Ces deux qualités permettent l’obtention de textures variées.
-Garder vos matériaux dans des bocaux à température ambiante bien identifiés et datés.
-Le jour précédent, préparer une solution d'alginate avec 200 mL d'eau et 4 g d’alginate de sodium (permet de faire plusieurs recettes).
Recette :
-Le lendemain mélanger 60 mL de cette solution avec 45 g de coquilles d'œufs.
-Vaporiser, très légèrement, du vinaigre dans le fond des moules et l’étaler avec le doigt avant d'y verser le mélange (trop de vinaigre fait coaguler instantanément le mélange et ne permet pas d’obtenir des bords réguliers).
-Verser dans les moules (nous utilisons des couvercles de yaourt ou des moules en silicone).
-Recouvrir la mixture d'assez de vinaigre (env. 15 à 20ml) très délicatement au spray.
-Au bout de 30 min, soulever un peu les bords pour que le vinaigre passe en dessous.
-Laisser reposer 1heure
-Retourner le biocomposite, le recouvrir de vinaigre généreusement au spray, puis le laisser reposer 1 h.
-Le rincer et le mettre à sécher entre deux assiettes, ou dans le moule de votre choix, au four à 55 ˚C pendant 30 min. Absorber l'eau et le remettre au four 30 min. Terminer le séchage à l’air libre (idéalement au soleil), ce qui peut prendre 2 à 3 jours.
Fig 2 et 3: Mettre plus de vinaigre au fond du moule permet l'obtention de bord irréguliers, ce qui peut être sympa aussi.
Cette recette est inspirée d’un procédé venant du site open-source www.materiom.org afin de stimuler une émulsion créative internationale.
Vos commentaires ainsi que vos questions seront les bienvenus lors de notre Live Cooking Show qui aura lieu le 20 Octobre prochain sur la plateforme Sympoïétiques. Vos découvertes inattendues permettront à notre communauté de contribuer au développement de matériaux sains et compostables afin de nous départir de notre dépendance au pétrole et éviter de laisser des traces indélébiles sur notre planète comme dans nos organismes vivants.
Amusez-vous bien ! On a hâte de voir vos créations :)
Références:
Benyus, J. M. (2002). Biomimicry : Innovation Inspired by Nature. HarperCollins Publishers Inc.
McDonough, W., & Braungart, M. (2002). Cradle to Cradle : Remaking the way we make things. North Point Press.