Le physicien Fritjof Capra dans The Hidden Connections, publié en 2002, nous explique les fondements de l’écoconception. Dès 1981 Lester Brown, analyste environnemental américain, définit une société durable comme capable de satisfaire ses besoins sans nuire aux générations futures. En 1987, le rapport Brundtland de la Commission mondiale sur l’environnement utilise la même définition pour présenter la notion de développement durable.
Mais la questionne demeure : Comment édifier une société durable ?
Le seul modèle que nous ayons est la nature et le fonctionnement de ses écosystèmes, tel que prôné par le biomimétisme (Benyus, 2002). En 1997, la biologiste Janine Benyus s’intéresse aux systèmes ingénieux de fabrication des matériaux, développés par les organismes vivants tels que la nacre du coquillage, la colle de la moule ou le fil de soie de l’araignée. Tous ces matériaux comportent des caractéristiques techniques très sophistiquées, bien qu’ils soient fabriqués dans des conditions respectant la vie et à partir de substances chimiques communes telles que les protéines, le carbone, le calcium, l’eau et le phosphate.
Les sucres et les protéines sont des polymères mous qui servent de ciment et de réserves d’énergie aux organismes vivants. Ce sont de grandes molécules tridimensionnelles composées de colliers d’acides aminés ou de sucres simples. L’auto-assemblage de la nature utilise des catalyseurs de type « clé-serrure » appelés enzymes qui accélèrent la vitesse de réaction biochimique tout en facilitant le processus de synthèse.
Les molécules se rencontrent et s’accumulent grâce à leur mouvement perpétuel à l’échelle microscopique, qu’on appelle mouvement brownien. L’auto-assemblage se produit par emboitage d’une partie mâle et d’une partie femelle (comme la pièce d’un Légo). Les protéines sont des « matriceuses » qui assemblent à température ambiante.
Dans la nature, les déchets sont biodégradables et servent de nutriments à d’autres organismes vivants, générant ainsi zéro déchet (Capra, 1996). L’écodesign aussi utilise le déchet comme ressource, tel qu’expliqué dans Cradle to Cradle, par le binôme multidisciplinaire de designer et chimiste (McDonough & Braungart, 2002).
Inspirées par l’équation Déchet = Nourriture, nous réalisons nos vaisselles à partir de protéines et de déchets alimentaires, qui vont apporter certaines propriétés esthétiques et plastiques à la vaisselle. Les fibres d’artichauts, par exemple, lui confèrent une certaine texture et couleur distincte, tout en augmentant sa résistance à la déchirure. L’utilisation de matériaux non-toxiques et pouvant être perpétuellement recyclés, permet à notre vaisselle de réduire l’empreinte écologique d’évènements. Les articles pourront ensuite être refondus puis transformés en nouvelle vaisselle pour montrer la circularité du produit, valoriser nos déchets et éviter d’en produire davantage.
Figure 1 : Valorisation des déchets.
Notre projet interdisciplinaire, Cyclical_Matters, est conçu et réalisé par trois designers et artistes aux savoir-faire complémentaires et accompagné par l’expertise du chimiste Yves Gélinas, membre du département de chimie et de biochimie à l’université Concordia.
Commençons d’ailleurs par un peu de chimie. Nous allons mélanger trois ingrédients : la gélatine, l’eau et la glycérine. La gélatine est obtenue à partir de l’hydrolyse (dégradation) partielle du collagène (une protéine issue des os d'animaux faite de longues chaines d'acides aminés). Elle fond lorsqu’elle est chauffée et durcit lorsqu’elle est refroidie. Elle est habituellement utilisée en cuisine pour épaissir ou gélifier. La glycérine, quant à elle, est extraite des graisses animales ou végétales. Grâce à ses propriétés hydratantes (qu’on appelle hygroscopique, i.e., qui absorbe l’humidité), elle confère de l'élasticité au plastique (plus on en met, plus il est souple ; moins on en met plus il est dur et cassant).
Voici ce dont vous allez avoir besoin pour réaliser 4 assiettes d’environ 10 cm de diamètre (sur la photo nous avons utilisé un moule hexagonal en silicone) :
Ustensiles :
- Une balance de cuisine.
- Deux ramequins (l’un contenant la gélatine et l’autre les fibres d’artichaut)
- Une cuillère pour mélanger.
- Des couvercles de yaourt de 11 cm de diamètre environ ou des moules en silicone.
- Une vieille poêle (réservée pour vos expériences seulement, mais plus en cuisine).
Ingrédients :
- 240 mL d’eau de cuisson des artichauts (un peu verte)
- 1 cuillère à soupe de glycérine
- 48 g de gélatine (Bulk Barn)
- 20 g de feuilles d'artichaut séchées et mixées.
Étapes préparatoires :
- Collecter vos feuilles d’artichaut après le repas.
- Les faire bouillir pendant 15 minutes.
- Idéalement les faire sécher au soleil, c’est plus écologique ou les mettre dans un déshydrateur. Sinon au four pendant 1 heure à 100˚C, mais cela consomme plus d’énergie.
- Les moudre dans un robot électrique.
- Garder vos matériaux dans des bocaux à température ambiante bien identifiés et datés.
Recette:
- Verser l’eau froide dans la poêle.
- Ajouter la glycérine.
- Ajouter la gélatine délicatement afin d’éviter les grumeaux et remuer sans cesse avec un fouet jusqu’à atteindre 95˚C (légère ébullition).
- Quand la gélatine a fondu ajouter les fibres d’artichaut moulu.
- Continuer à remuer pendant 3 minutes environ.
Moulage:
- Couler le plastique liquide dans des couvercles de yaourts et/ou dans des moules en silicone.
- Laisser sécher 24 h.
- Démouler et placer entre deux assiettes, ou dans les moules de votre choix, jusqu’au séchage complet qui peut prendre plusieurs jours.
- Vérifier et aérer quotidiennement afin d’éviter les risques de moisissures.
En cas de moisissures :
Tremper une vieille brosse à dent dans du vinaigre blanc et frotter les tâches de moisissures puis étaler avec le doigt et laisser sécher à l’air libre.
Cette recette est inspirée d’un procédé venant du site open-source www.materiom.org afin de stimuler une émulsion créative internationale.
Vos commentaires ainsi que vos questions seront les bienvenus lors de notre Live Cooking Show qui aura lieu le 20 octobre prochain sur la plateforme. Vos découvertes inattendues permettront à notre communauté de développer plus rapidement des matériaux sains et compostables afin de nous départir de notre dépendance au pétrole et éviter de laisser des traces indélébiles sur notre planète comme dans nos organismes vivants.
Amusez-vous bien ! On a hâte de voir vos créations :)
Références:
Benyus, J. M. (2002). Biomimicry : Innovation Inspired by Nature. HarperCollins Publishers Inc.
Capra, F. (1996). The Web of life a new scientific understanding of living systems. Anchor Books.
Capra, F. (2004). The Hidden Connections : A Science for Sustainable Living. Anchor Books.
McDonough, W., & Braungart, M. (2002). Cradle to Cradle : Remaking the way we make things. North point press.